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L’arbre-toile et le soleil

C’est un magnifique soleil qui m’accueille à Gouaux ce matin.

 

 

Je suis là pour commencer à travailler sur une idée, pour une installation photos à Gouaux. Des photos d’arbres prises dans en vallée d’Aure et du Louron. Le 7 novembre devait se dérouler une rencontre dans le cadre de l’événement « murmures d’arbres ». Déjà, des images de photos d’arbres partout avait envahi mes yeux et mon imaginaire. J’avais pensé ce moment comme une rencontre dans une forêt. Une forêt dessinée par des lignes immortalisées dans des moments de marche, de suspension. Car lorsque mes pas m’amènent à rêver dans le pays des arbres, j’ai toujours l’impression que le temps se suspend. Il se détache de mon quotidien et il ne semble exister que le son de mes pas au milieu de ces êtres qui m’accueillent peut-être parfois malgré eux. Je me suis toujours demandé s’il ne faudrait pas, avant de marcher dans une forêt au milieu des arbres, ne pas fermer les yeux et faire comme une prière pour ouvrir une porte invisible, ou alors demander l’autorisation d’amener son corps parmi tant d’autres corps, leur demander si ce bipède qui cherche sans cesse à se mouvoir dans le monde serait accepté dans cette apparente immobilité, où chaque arbre dessine un tableau dans un éternel rythme cyclique.

 

 

Mon appareil photo est tout le temps avec moi. Mais souvent, il reste suspendu, objectif vers le bas, se dandinant en suivant mes pas. Les arbres autour ne veulent pas. Ils acceptent mon regard mais pas ce clic qui vole les instants, les âmes. Parfois, il m’arrive de regarder intensément un arbre. Je penche un peu la tête. Et vient alors ce geste de prendre l’appareil, de le coller à mes yeux. Et l’arbre s’offre à moi. En confiance, il accepte de donner une part de son âme, de son histoire. J’avais envie de faire un tirage de ces photos et de faire naître une autre forêt lors de ce moment de lecture. J’avais envie que toutes ces résonances d’âmes qui s’étaient offertes à moi, à travers mon objectif, puissent parler, être là, toutes ensemble, et vibrer aux sons des mots et des textes lus.

 

 

En attendant ce moment-là, je suis ici ce matin pour égrener mes pas sur les chemins de Gouaux et essayer de réfléchir comment j’allais faire. Garder le lien avec les habitants. Partager des instants d’imaginaires et de rêve. Je rentre dans la maison Marguerite et je suis dans le salon. Ne me vienne que des questions techniques : comment accrocher ? D’où vient la lumière ? Avec quoi ? Des branches ? Et la lumière, d’où vient-elle ? Mon esprit était envahi de toutes ces questions factuelles quand je le vois à travers une des fenêtres de ce salon vide où se dégageait une forte odeur de bois.

 

 

Je le vois. Il est là. Il semble m’attendre. Je me retrouve dehors, devant lui, la tête penchée, immobile. Il ne me regarde pas. Il est juste là. Et je l’entends murmurer une ritournelle incessante :

 

 

Regarde à travers la toile.

 

Regarde à travers la toile.

 

Regarde à travers la toile.

 

 

Je suis restée là plusieurs minutes, plantée devant cet arbre qui semblait me dire quelque chose. Personne. Nous étions que tous les deux, seuls dans ce village qui m’a paru d’un seul coup désert, vide. Me revient alors à l’esprit une phrase du poète allemand Reiner Maria Rilke dans Lettre à un jeune poète. Ce livre m’avait été offert quand j’avais 15 ou 16 ans, à un âge où l’âme de l’adolescence erre sans cesse dans les doutes. Les miens étaient beaucoup trop souvent douloureux, et les lettres à un jeune poète s’adressaient souvent à moi et se posaient sur les blessures. Aujourd’hui c’est une phrase qui me revient. Elle parlait des questions qui peuvent parfois nous envahir et de l’absurdité à vouloir trouver tout de suite des réponses. Je l’ai retrouvé plus tard en rentrant chez moi :

 

 

« Soyez patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre cœur. Essayez d’aimer vos questions elles-mêmes… Ne cherchez pas…des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne saurez pas…les vivre. Et il s’agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour l’instant que vos questions…Peut-être simplement…finirez-vous par entrer insensiblement un jour, dans les réponses. »

 

 

Ce quotidien incertain, flou. Je vois le monde en train de se désintégrer et les particules que j’essaie de rassembler tant bien que mal sont lourdes, impossibles à toucher, attraper, porter. Tout se met en déséquilibre. Chaque matin je sens des tremblements sur chaque minuscule parcelle de la plante de mes pieds. Fallait-il donc que j’accepte ce déséquilibre ? Que pouvait bien me dire cet arbre traversé par la lumière d’un soleil automnal et doux, prêt à effacer les lignes, faire dissoudre les contours ? J’étais juste venu voir comment accrocher des photos dans une salle et me voilà là avec cet arbre en train d’essayer de me souvenir d’une phrase lue il y a longtemps.

 

 

J’accepte alors d’être éblouie par ce rayon qui traversait l’arbre, d’en avoir presque mal aux yeux et d’oublier que j’étais au milieu de la route, plantée là, sûrement dans une position cocasse. Il y avait comme une fissure qui se dessinait tout autour de nous et ne venait à mes oreilles que le son de l’eau de la fontaine. La fontaine. Pendant ces longues minutes aucun son ne venait à moi et pourtant l’eau de la fontaine avait une musique présente, entêtante. L’eau absorbait le silence et le silence envahissait l’espace qui me réunissait à l’arbre. Et puis d’un seul coup, je n’entendais plus que lui, le son de l’eau qui coule, qui coule. J’ai pris mon appareil et l’objectif s’est posé devant l’arbre. Et j’ai vu à travers la toile, autour de la lumière, la dentelle. La dentelle. L’eau. La fontaine….Le lavoir…Le lavoir. L’arbre m’a dit : « Le lavoir ».

 

 

Les cloches de l’église sonnent midi. L’eau continue à faire sa musique et le soleil est toujours là. L’arbre nu cherche à abandonner les quelques feuilles qui s’accrochent à lui…il est parti ailleurs et je n’existe plus…

 

Je suis à Gouaux. Il est midi. Il faut que je reparte… Les questions sont toujours là. Je ne sais absolument pas où et comment je vais accrocher ces photos, réunir les âmes. Mais j’ai au moins une réponse. La prochaine fois que je viens à Gouaux, j’irai au Lavoir. On verra après…

 

…..

 

 

                                                                              

S.

 

 

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